Having faith doesn't make you a foolish man : it makes you a strong man.
Before it happened Le canon de l’arme à feu fume encore et c’est avec une certaine lenteur que je le range dans son holster avant de m’en retourner vers mes camarades et de hocher la tête. Je replace ma casquette correctement, il est impératif d’être impeccable et irréprochable en toutes circonstances, et m’avance pour enjamber le corps qui est au sol avant de pénétrer à l’intérieur de la pièce. En dehors de quelques meubles, elle est vide, il n’y a rien, c’est d’ailleurs ce que me fait remarquer un soldat et un simple regard de ma part le fait taire. Il est jeune, il a encore beaucoup de choses à apprendre comme le fait qu’il ne faut jamais se fier aux apparences. Pourquoi donc un homme armé garderait-il une pièce vide ? Il gardait une pièce qui en cache une autre, j’en suis certain. Je sors ma matraque, la déplie et m’approche du premier mur sur lequel je me mets à cogner de façon régulière sur toute la longueur. Je fais de même sur l’autre pan de mur et je ne me stoppe finalement qu’au troisième quand cela sonne plus creux à un endroit. Je replie ma matraque et la range avant de glisser mes mains sur le mur et de cogner doucement dessus tout en posant mon oreille contre le mur. Un sourire étire mes lèvres : c’est là. Je me recule, fais signe aux démolisseurs d’entrer et d’un geste du menton leur désigne le mur à abattre, ce qu’ils font sans aucun problème. Une fois le plus gros de la fumée dégagé, j’enjambe les ruines de ce qu’était le mur quelques instants encore auparavant et pénètre à l’intérieur d’une pièce : la pièce, celle qui a conduit tant d’hommes à garder cet immeuble désaffecté. Tout autour de moi se dressent de nombreux livres et tableaux, et il me suffit d’un coup d’œil pour être certain que ce sont là des objets prohibés, interdits par le Gouvernement. Pourquoi dont s’entêtent-ils tous ? N’ont-ils pas compris que ces objets ont été prohibés à raison ? Je ne suis pas là pour les comprendre mais pour agir, je le sais, mais parfois j’aimerais comprendre car en comprenant, peut-être pourrais-je mieux voir, mieux appréhender, mieux éviter ce genre de choses… Je retire mes gants pour me saisir d’un vieux livre dont je feuillette doucement les pages puis le referme avant de le poser sur une table en bois. Un nouveau regard circulaire et je sors de la pièce en remettant mes gants.
- Que tout soit répertorié avant d’être brûlé.
Tout va être brûlé oui, c’est ainsi mais avant d’en arriver là, il est nécessaire de répertorier chaque objet prohibé pour savoir ce qui ne sera plus en circulation clandestine. Aujourd’hui est une belle prise, la plus belle de toute ma carrière sans aucun doute. Une carrière encore courte, certes, mais qui a pourtant déjà très bien commencé. J’ai suivi naturellement les traces de mon père, avec fierté et volonté. J’ai voulu marcher dans ses pas, j’ai voulu servir le Reich comme lui l’avait fait avant moi et comme mon grand-père l’avait fait avant mon père. J’y ai mis beaucoup de cœur, beaucoup de vigueur, beaucoup de travail et je suis parvenu à me hisser parmi les meilleurs de l’école militaire. Certes, l’apprentissage du Kata-Armé par mon père m’a été d’une grande utilité mais c’est surtout ma dévotion sans faille aucune qui a été remarquée, mon désir réel de vouloir protéger et de faire perdurer ce qui a été construit avant nous : le troisième Reich, la plus grande puissance jamais connue en ce monde. Elle est infaillible. Nous sommes infaillibles et c’est cette pensée que je porte dans mon cœur alors que je me trouve, quelques jours plus tard, au centre d’une estrade, face à des centaines de personnes, alors que mon supérieur accroche une nouvelle insigne à mon col, signe de ma toute nouvelle promotion. Une poignée de mains échangée, un salut que tous imitent puis, c’est son regard à elle que je croise. Alors, l’ombre d’un sourire naît sur mes lèvres tandis que j’observe ma femme qui me regarde avec amour et fierté. Elle est là, elle a toujours été là à chaque étape de ma carrière. Sans elle, tout ceci aurait une saveur bien moins agréable, cela ne fait aucun doute. Elle me sourit comme le destin nous sourit à tous les deux : moi à présent Obersturmbannführer, elle, soliste reconnue qui va donner ce soir-même un récital accompagnée de l’orchestre philharmonique de Berlin… Oui, le destin nous sourit réellement. Il ne manque plus que l’arrivée d’un enfant et tout sera parfait. J’espère que ce jour va arriver très prochainement.
After it happened Les mains croisées sur mes genoux, je fixe le sol, les sourcils froncés. La boule qui me noue la gorge devient de plus en plus imposante, de plus en plus étouffante. J’aimerais me réveiller de ce cauchemar mais il n’y a aucun réveil possible car ce cauchemar est réalité : ma réalité. Notre vie n’a-t-elle pas été assez tordue et brisée comme cela ? L’arrivée de ces choses, de ces prototypes a tout foutu en l’air, tout remis en question alors que ce n’était déjà plus autant brillant qu’avant. Le Reich a sombré, doucement, mais il a sombré, nous nous en sommes tous rendus compte. Le pouvoir a commencé à nous échapper à certains endroits de la planète et nous avons fini par reculer et par abandonner certains continents. Nous n’avions alors pas d’autre choix mais cela a été difficile à accepter pour moi, très difficile. J’ai refusé de voir la chute de notre puissance, j’ai voulu me battre pour elle et je l’ai fait de toutes mes forces comme d’autres avec moi. Nous y avons mis toutes nos tripes, toute notre âme et peut-être que cela aurait été suffisant si les choses n’avaient pas dégénéré d’une toute autre façon. Finalement, notre chute n’a intéressé personne : les gens étaient trop occupés à essayer de s’en sortir vivants, trop occupés à essayer d’échapper à ces choses qui ont envahi les rues, partout, absolument partout : en Europe, en Asie, sur le continent Américain… Ces choses se sont propagées à une telle vitesse... C’était non voulu, c’était un accident et c’était pour la bonne cause. De tout temps des expériences ont mal tourné et cette fois-ci, cette expérience-là a très, très mal tourné. Notre monde tel que nous le connaissions a changé et nous n’avons pas eu d’autre choix que de prendre la fuite. Nous avons été nombreux à prendre la route et trop peu à arriver sains et saufs en ces nouvelles terres qui étaient censées être notre salut à tous. Mes camarades et moi n’avons pas abandonné, nous nous sommes installés ici, au nord du pays, nous avons trouvé refuge au sein de ce barrage et c’est d’ici que nous voulons tout reconstruire : je veux tout reconstruire, mais…
- Hannibal ?
Je me fige en entendant la voix de ma femme et ne relève pas mon regard vers elle lorsque je l’entends approcher.
- Qu’est-ce qui se passe ?
Toujours aucune réponse de ma part. Elle se met à genoux et vient glisser ses mains sur mes joues.
- Raconte-moi…
Je perçois toute l’inquiétude dans sa voix et moi, je me contente de fixer le sol en fronçant davantage les sourcils.
- J’ai été trahi…
Ma voix est un murmure et elle tremble. Je sens les doigts d'Anna se presser davantage sur mes joues.
- Quoi ? Par qui ?
Un nouveau silence et enfin, je daigne relever mon regard vers elle pour plonger mes yeux qui vibrent de douleur et de colère dans les siens. Ma mâchoire se crispe et je perçois dans son regard le moment où elle comprend que je sais, où elle comprend qu’elle ne peut plus se cacher. Elle retire ses mains de mes joues et les pose sur ses genoux tout en me regardant. Je vois ses épaules trembler légèrement : elle a peur et elle a raison d’avoir peur.
- Qu’est-ce que tu sais ?...
- Tout ce qu’il y a à savoir je pense.
- Il faut que je t’explique…
- Non. Je ne veux pas t’entendre.
Ses explications je n’en veux pas, pourquoi en voudrais-je ? La trahison est là, peu importe la raison.
- Écoutes-moi… Il fallait que je la fasse, les gens ont le droit de savoir…
- Parce que tu crois que ça se résume à ce que les gens ont le droit de savoir Anna ? Le plus important est de les protéger.
- Les protéger ? En leur mentant ?
- Oui, ils n’ont pas besoin de savoir ce que toi et tes… Quoi, tes amis ? Ce sont tes amis ?
- Oui…
- Ce que vous vous apprêtiez à faire relève de la folie : cela ne ferait qu’empirer la situation ! Ce que les gens ignorent ne peut pas leur faire de mal !
- Je ne peux pas croire ce que j’entends …
- Et moi je ne peux pas croire que tu aies osé me trahir, nous trahir...
- Hannibal, ce « nous » dont tu parles il n’existe plus…
- Si, il existe. Il subsiste. Grâce à nous, les fidèles. Nous allons y arriver, on reconstruira ce qui a été perdu.
Elle se tait, m’observe en secouant la tête, les larmes aux yeux.
- C’est vraiment ce que tu veux ? Alors que sans le Reich, il n’y aurait jamais eu de virus, il n’y aurait jamais eu de prototypes, il n’y aurait jamais eu…
- Si ! Il y aurait eu ! Il y a toujours eu Anna, toujours eu ! Si ça n’avait pas été nous, ça aurait été quelqu’un d’autre !
- J’aimerais tellement que tu puisses voir, que tu puisses comprendre que tu fais fausse route…
Elle tend la main vers moi mais je la repousse d’un geste vif. Je l’observe en silence un instant avant de me redresser. Je la toise de toute ma hauteur et je sais que mon regard n’est que colère en cet instant.
- Tu es en état d’arrestation pour haute trahison.
- Hannibal…
- Debout.
- Je t'en supplie, pense à nous trois...
- Toi, tu aurais dû y penser !
- Je t'en prie...
- DEBOUT !
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- Êtes-vous sûr Mein Obersturmbannführer ?
- Certain.
- Je peux m’en charger si vous v…
Un regard suffit à le faire taire et il s’éloigne avant de quitter la pièce dont le mur du fond est déjà criblé de balles et de traces de sang : des restes des exécutions précédentes. Une fois seul, je prends de profondes respirations pour être le plus calme et le plus impassible possible même si je sais que je ne vais pas pouvoir cacher toutes mes émotions : pas avec ce que je suis sur le point de faire. Je dégaine mon arme à feu, m’assure qu’elle est bien chargée et lorsque je retire le cran de sûreté, je m’aperçois que ma main tremble un peu. Je ferme les yeux, me concentre et quand j’entends la porte en métal s’ouvrir, je rouvre mes yeux et les pose instantanément sur ma femme dont les mains sont attachées devant elle. Elle est conduite dos au mur, face à moi et tandis que mes deux camarades se mettent à lui parler, je suis tout à coup enfermé dans un silence oppressant. J’ai l’impression que mes oreilles bourdonnent tandis que je fixe Anna droit dans les yeux. Mon cœur se serre, une boule se forme dans ma gorge pour la nouer avec tant de force qu’il m’est difficile de déglutir. Je n’entends même pas mes camarades s’adresser à moi. Il leur faut se mettre dans mon champ de vision pour couper le lien visuel qui s’est établi entre moi et Anna. Je les observe brièvement, hoche la tête et ils s’éloignent sur ma droite tandis que je reporte mon regard sur Anna. Ma main tremble un peu mais je parviens à contrôler mes larmes. Elles restent bloquées au bord de mes yeux alors que je lève mon arme. La bouche d’Anna s’entrouvre, elle murmure mon prénom puis le silence. Ses mains viennent frôler son ventre. Mon regard se voile et se trouble mais ma main, elle, ne tremble plus. Mon doigt presse la détente.
La porte de la pièce qui me sert de chambre se referme derrière moi. Je reste un instant adossé contre cette dernière. Mes yeux fixent le vide, incapables de s’en détacher. Le néant qui s’est emparé de moi quand j’ai tiré est petit à petit consumé par la tristesse, la détresse, la douleur, l’horreur. J’ai fait ce qui devait être fait mais… Mais… J’ai l’impression de tomber au ralenti, j’ai l’impression qu’il se passe de nombreuses secondes avant que mes genoux ne viennent toucher le sol après que mes jambes aient décidé de me lâcher. Je finis en boule, au sol, les mains plaqué contre mon visage inondé par des larmes qui me brûlent à vouloir en hurler. Le cri reste cependant bloqué dans le fond de ma gorge. Ils sont morts. Tous les deux. Par sa faute. Je la hais. Je l’aime. Je la hais.
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Le chiffon glisse avec délicatesse sur la lame du katana pour lui redonner son éclat après qu’elle ait été souillée par le sang d’un prototype. Ce katana, il est tout ce qu’il me reste de feu mon père et également ma meilleure arme contre les prototypes alors j’en prends particulièrement soin. Je prends aussi soin de mes deux armes à feu mais dans une moindre mesure puisque je les utilise moins souvent : les balles ne peuvent arrêter que les humains, non pas les prototypes. Cela nous le savons et si certains l’ignorent, nous le leur enseignons. Nous sommes finalement peu ici, trop peu, mais nous n’abandonnons pas. Nous voulons reconstruire ce qui a été perdu, nous voulons redonner un visage à l’humanité souillée et perdue. Nous allons continuer à nous battre contre les prototypes et contre les humains cherchant à nuire à ce qu’il reste du Reich et de sa splendeur et, nous allons unir les êtres humains et briller de nouveau de la puissance qui a longtemps été la nôtre. Le salut réside dans cette puissance, j’en suis convaincu et je ferai en sorte de guider ceux qui doivent l'être. J'aurais simplement voulu ne pas le faire seul.
J'aurais voulu.